Said el Kadaoui vient de publier son premier roman aux éditions Milenio. Déjà auteur de nombreux articles scientifiques de psychologie de par sa profession, il a souhaité avec “Limites y fronteras” faire une incursion dans le monde de la littérature pour une lecture moins distante et plus accessible au grand public. Pour autant, sa profession de psychologue reste au centre de son oeuvre.
Dans
la lignée des auteurs issus de l’immigration maghrébine en Espagne,
l’auteur y décrit le mal être lié à la sensation d’être perpétuellement
considéré comme un étranger, que vivent de nombreux jeunes de la seconde
génération d’immigrés en Espagne. C’est à travers le personnage
d’Ismail qu’il nous plonge dans un labyrinthe de confusions, d’émotions
violentes et de sentiments douloureux. La profonde blessure, en partie
inconsciente, qui tenaille sans répit Ismail, le conduit en effet à
décompenser violemment dans un épisode psychotique qui ouvre le roman.
On vit alors un périple intérieur long et douloureux, thérapeutique, où
le grand vide issu du “sentiment de non-appartenance” nous fait vaciller
entre la folie et la raison. Dans la « communauté thérapeutique »,
euphémisme de l’hôpital psychiatrique, Ismail trouve enfin la
possibilité d’entreprendre la réflexion nécessaire (mais jusqu’ici
toujours refoulée) à l’apaisement de son âme. Parce que « le souci avec la raison – justifie le thérapeute – c’est qu’elle ne nous autorise pas de raccourcis”.
Au gré des rencontres patient/psychologue qui s’étaleront sur une
période de deux ans, on assiste au grand déballage des émotions qui
empêchent Ismail de vivre. Il laisse vite libre cours à la profonde
colère, à l’amertume, voire à la haine qui l’habitent. On le suit dans
ses contradictions répétées, ses sentiments contrastés, tantôt de
rébellion, tantôt de désespoir.
“
Limites et fronteras” questionne ainsi l’identité, la capacité d’Ismail
à la ressentir et à l’expérimenter dans toute sa complexité, comme
quelque chose de polyfacétique, en perpétuelle mutation, la nécessité de
l’envisager comme une somme d’appartenances, que l’ont doit élaborer de
manière à pouvoir les faire dialoguer entre elles, à les agencer dans
un tout harmonieux. Cette réflexion devra mener, à travers des choix, à
l’acceptation – ou non - de la pluralité, élément essentiel à la
construction personnelle de l’adulte. L’auteur s’élève ainsi contre les
simplifications et les catégorisations figées : « Immigré, ça
signifie quoi ? Ismail est arrivé en Espagne tout petit, il va peut-être
falloir qu’on arrête un jour de l’appeler « immigré » ! J’aimerais bien
que l’on perçoive Ismail non pas comme un immigré mais plutôt comme
quelqu’un qui vit une crise identitaire. Ce que vit Ismail ressemble à
ce que les adolescents vivent à un moment donné lorsqu’ils se demandent
ce qu’ils sont. Même si, bien entendu, dans son cas, c’est
plus compliqué parce qu’il est né ailleurs et que l’on lui a toujours
fait sentir. Et puis il a toujours fui en refusant de faire face à ces
questionnements. » Vivant mal le double stigmate d’ « étranger » et
de « fou » qui le marque, Ismael doit parvenir, pour se soigner, à
lutter contre « l’intériorisation des représentations », contre cette
image figée que la société lui a collée et qu’il a acceptée malgré lui.
Said
el Kadaoui signe ici un roman dense et d’une grande sensibilité, fort
d’un rythme soutenu, d’une écriture vive et sans fioriture. « Je
voulais écrire quelque chose de vivant, de direct, où le lecteur puisse
s’identifier au personnage et à ses émotions, vibrer avec lui »,
explique l’auteur. L’utilisation de la première personne sert d’ailleurs
intentionnellement ce choix, en faisant entrer le lecteur dans la peau
du personnage. «C’était vraiment important que ce soit Ismail qui parle. Je voulais que ce soit fort ». L’idée
de ce roman, né il y a 5 ans, suite à l’admission d’un patient marocain
dans la clinique psychiatrique où il travaille, ne le quitte bientôt
plus. Il ressent le besoin d’écrire « sans doute aussi comme un moyen de réintégrer des choses qui m’appartiennent, mes origines et ma profession. ». Sans être un roman autobiographique, « Limites y fronteras » est ainsi aux croisement des différentes préoccupations de l’auteur.
Tout est donc dans le titre ? « Ce n’est pourtant qu’en relisant ce que j’avais écrit qu’il s’est imposé à moi. C’était incroyable. Je ne parlais que de ça !
», s’étonne Saïd. Folie/raison, amour/haine, vie/mort, patient/médecin,
pays d’accueil/pays d’origine : les oppositions s’entremêlent sans
cesse dans les raisonnements d’Ismail. Le carcan des limites et des
frontières est omniprésent et semble déranger la pensée en la dualisant.
«Je crois que ces limites sont souvent factices. – dit l’auteur
– Pour ce qui est de la folie par exemple, je pense que l’on peut tous
vivre à un moment donné une dépersonnalisation, un sentiment d’étrangeté
mentale transitoire ou une crise identitaire qui peut nous y amener. ».
A travers les délires d’Ismail, l’auteur procède également à une
analyse critique de la société et dénonce le racisme, le traitement
frivole de l’information, ou encore la stigmatisation : « Cette
critique colle parfaitement au personnage. Ismail est quelqu’un de
simple mais d’intelligent, il a une grande sensibilité. Rien ne lui
échappe. Je crois que ça peut vraiment rendre fou d’écouter dans les
medias la manière dont on parle de tout ça.»
Pour
ses premiers pas dans la littérature de fiction, Saïd El Kadaoui est
convaincant, même si l’on sent que son écriture devra encore s'affirmer
afin de pouvoir s'imposer avec autorité dans la littérature. Le style
hautement visuel qui se dégage de la succession des chapitres reste
cependant un des points forts de son écriture, qui lui vaudra sans doute
quelques propositions d’adaptation cinématographique.
Qu’en sera-t-il du second roman, déjà en phase de préparation ?
Né
en 1975 à Nador, au Maroc et arrivé encore enfant à Barcelone, Said El
Kadaoui est psychologue et psychothérapeute psychanalyste. Il est
spécialiste de la santé mentale chez les enfants et les adolescents au
centre de Gavà, et enseigne dans les masters en « Relation et
communication interculturel » et « Santé mentale chez les
immigrés, réfugiés et minorités ». Il est par ailleurs membres de
Atlantida-migra, l'association des professionels de l'interculturalité,
et consulte dans son cabinet nommé "El Aleph", d'orientation et de
soutien psychologique.
Crítica Revista Babelmed.net
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